Peintre installé à Paris, Marc Tanguy nous ouvre les portes de son univers sensible et coloré. Au fil de cet échange, il évoque ses débuts, ses influences, et la manière intuitive dont il laisse la peinture tracer son propre chemin.

Marc Tanguy travaillant dans son atelier à Paris. Photo : ©Félix Arramy
• Marc, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis peintre, je vis et travaille à Paris.
• Comment l’art est-il entré dans votre vie ?
Si on parle des arts visuels, ce serait à travers l’art dit « populaire », la bande dessinée, les pochettes de disques, les couvertures de livres. J’ai ensuite été nourri par un professeur d’arts plastiques au lycée qui m’a ouvert les yeux sur l’Histoire de l’art et l’art contemporain, et m’a préparé, malgré moi, au concours d’entrée dans une école d’art.
• Quel artiste êtes-vous et quelle relation entretenez-vous avec la créativité ?
Je suis peintre, je m’intéresse à la façon dont le visible est en lien avec le reste de notre vie. Je n’aime pas l’art élitiste, trop socialement codé. Le processus créatif est fondamentalement un acte de liberté, toujours renouvelé et universel. Il n’y a pas de recettes ni de répétitions.
• Quelles sont vos inspirations ?

La nature, les voyages, les paysages, les jardins, les autres artistes…
• Y a-t-il des artistes qui vous ont particulièrement influencé durant votre parcours ? Si oui, lesquels et comment ?
Parmi les peintres historiques, il y en a beaucoup, Corot, Titien, Joan Mitchell, les Nabis, Tom Thomson, Van Gogh, la liste est sans fin. Parmi les vivants, je pense à David Hockney ou Peter Doig… Je suis sensible à cette période charnière du début du XXème siècle autour de 1906, où on voit la peinture peu à peu s’affranchir des codes sociaux et prendre sa liberté. C’est une période intermédiaire fascinante, de recherches, où on voit les début de Mondrian, de Kandinsky et la naissance du fauvisme.
• Pourriez-vous décrire votre processus créatif, de la conception à la réalisation d’une œuvre ?
C’est difficile à résumer, d’autant que c’est un processus de métamorphoses permanentes. En ce moment, je travaille avec des couleurs pures, des pigments, une toile brute blanche, qui va s’imprégner recto verso, des recouvrements et des transparences, je recherche un espace qui ne sera pas perspectif, mais perceptif. Un espace d’interactions, pas un espace social ou narratif, la peinture d’histoire m’ennuie.
Le processus est en général assez improvisé, parfois à partir d’un dessin pris dans nature ou d’une photo, c’est un peu comme un voyage, je ne sais pas trop où je vais. Ça chemine, je laisse une certaine liberté à la matière, aux accidents, la peinture prend corps peu à peu, c’est une discussion entre elle et moi. Tous les peintres connaissent ça. Certaines choses finissent par s’imposer.



• Comment définiriez-vous votre style, votre univers artistique ?
Je pense que le style, c’est un peu comme une signature ou une façon de marcher. On le reconnait, c’est quelque chose de physique, une façon de bouger, ça n’a rien d’intentionnel et c’est largement inconscient. C’est aussi le reflet d’une époque, à travers l’inconscient collectif. Je ne peux pas décrire mon style, je n’ai pas la distance nécessaire.
Mon univers artistique est sans doute lié à la nature et à une tradition coloriste depuis l’impressionnisme en passant par les fauves, les Nabis, et la peinture abstraite du XXème siècle.
Une des nouvelles oeuvres au format imposant (130 x 162 cm) de Marc Tanguy, Magnolia,
pigments et liant sur toile, 2022.
• Quel est le rôle de la couleur dans votre travail artistique ?
La couleur est poétique, directe, elle parle directement aux perceptions et aux émotions. La couleur du peintre est une matière, une substance, matte ou brillante, épaisse ou transparente, etc. Il ne s’agit pas d’un chiffre comme sur les images numériques.
Vous posez trois taches de couleurs sur un papier blanc et vous avez déjà un poème. La couleur permet les accords, comme en musique.
L’usage de la couleur des Fauves, au début du XXème siècle, est un moment charnière de l’histoire de l’art en occident. La peinture s’est libérée d’un ordre contraint.
• Y a-t-il un message ou une émotion que vous espérez transmettre à travers vos œuvres ?
C’est comme pour la musique, on n’a pas besoin de message, j’espère que la peinture est vivante, ouverte, accessible, qu’elle a une certaine profondeur, que c’est un espace de liberté. Chacun est libre de l’interpréter. J’espère qu’elle a plusieurs entrées possibles, plusieurs niveaux de lecture.
Ensuite, chaque tableau a sa propre poésie, ce n’est pas forcément utile de commenter. Je peins souvent la mer, mais il y a mille façons de la peindre. Et c’est dans l’extrêmement singulier que la poésie prend corps. Chaque tableau est unique.
• Que diriez-vous à une personne découvrant votre travail ?
C’est vous qui voyez 😉
• Quel est votre dernier travail artistique en date ?
En dehors du travail d’atelier, constant tout au long de l’année, j’ai réalisé une peinture murale chez un particulier à Hong Kong l’année dernière.

• Depuis votre entrée à la Galerie Durst en 2020, votre style a-t-il évolué ? Si oui, vers quelle direction allez-vous ou souhaiteriez-vous aller ?
J’ai l’impression de mieux creuser mes sujets, avec plus de légèreté et d’assurance, de travailler sur des harmonies que je n’aurais pas osées il y a 5 ans. J’ai plus de liberté. J’aimerais travailler exclusivement sur de grands formats, m’immerger dans d’autres lieux que mon atelier parisien, plus proches de la nature, expérimenter d’autres atmosphères qui auront forcément une influence.
• Vous êtes également représenté par la galerie Art Of Nature Contemporary Gallery à Hong Kong,
et par la galerie Bernard Chauchet Contemporary Art à Londres. Comment ces collaborations sont-elles nées, et en quoi influencent-elles votre parcours artistique ?
La galerie de Londres est presque inactive ces dernières années, même si le lien n’est pas coupé. Cette galerie représente entre autres des artistes français.
Mon rapport avec la Chine est un peu venu malgré moi, d’abord par ma mère, qui pour une raison inexpliquée était à distance fascinée par une Chine idéalisée. Elle s’imaginait avoir des ancêtres chinois, mais c’était purement romantique.
Puis surtout ensuite par Zao Wou Ki, qui fut l’un de mes professeurs de peinture aux Arts Décoratifs à Paris au début des années 80. Tout ça m’a rattrapé lorsque j’ai été invité par un artiste chinois de Paris à participer en 2019 à une exposition en Chine. J’y suis retourné ensuite, seul ou en groupe, et y ai exposé dans plusieurs musées et à la galerie de Hong Kong.
Mais j’avoue avoir toujours été intéressé par la relation Orient-Occident, je lisais adolescent le Tao Te King, Tchouang Tseu, le livre d’Herrigel sur le tir à l’arc, etc. Le côté taoïste.
La peinture chinoise m’intéresse, même si je la connais trop peu, on la voit très peu ici, alors que la Chine est peut-être le pays au monde où les peintres sont le plus respectés. L’écriture et la peinture y sont intimement liées.
• Pourriez-vous partager avec nous un ou deux moments marquants de votre parcours artistique jusqu’à présent ?
Dans le désordre : L’arrivée d’internet et donc d’une vue globale de la création picturale. L’exposition Bonnard de 1983 au centre Pompidou. Celle de Peter Doig au Musée d’Art Moderne à Paris en 2008. Lorsque j’ai commencé à oser les grands formats. La période du Covid, où on ne pouvait rien faire d’autre que peindre. Mes voyages en Italie, Rome et Venise.
• Vous avez récemment collaboré avec la marque Atelier Cologne Paris de L’Oréal sur un projet autour d’un nouveau parfum qui s’appelle « Mandarine Fauve ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette nouvelle expérience ?


Il m’arrive parfois de travailler sur commande, mais pour celle-ci, il y avait des contraintes liées au produit, en terme de couleurs, et d’état d’esprit. J’ai ainsi apprivoisé la couleur orange que j’utilisais très peu. J’ai travaillé avec cette couleur pour trouver des harmonies, fait des recherches sur les pigments et les teintes. Représenter un parfum était une expérience nouvelle. Il s’agissait d’établir des correspondances visuelles avec des sensations olfactives. Deux toiles ont été créées, qui ont servi ensuite de support de communication, de packaging, etc. Il semble que le lancement du parfum ait été un succès.

• Avez-vous des projets artistiques futurs ? Vers quoi souhaiteriez-vous évoluer ?
Les projets : le salon Moderne Art Fair avec la galerie A Tempera et un projet de résidence chez un artiste en 2026. Et puis je commence des recherches sur céramique. Et peut-être revenir à la gravure et au monotype.
De façon plus générale, j’aimerais que ma peinture soit plus ample, travailler sur de plus grands formats, une peinture qui respire, plus simple, plus directe.
• Que diriez-vous à un.e artiste qui débute aujourd’hui ? Quel.s conseil.s donneriez-vous à un jeune artiste ?
Je leur dirais de ne pas aller trop vite, de considérer leur travail sur le long terme, de se nourrir d’histoire de l’art et de nature. Mais aussi de réfléchir à la différence entre les images et la peinture. La jeune génération est souvent hypnotisée par les images et a tendance à les reproduire sur toile, de façon plus ou moins détournée. La peinture, c’est autre chose.

