L’artiste Anne Lopez nous invite à découvrir son atelier parisien, lieu de création où elle transforme la matière en poésie, et donne vie à des univers où légèreté et mouvement se rencontrent. Elle revient sur le chemin qui a façonné sa pratique, nous parle avec passion de son métier d’artiste, et dévoile les coulisses de sa prochaine exposition personnelle à la Galerie Durst.

EXPOSITION DU 16 OCTOBRE AU 8 NOVEMBRE 2025
VERNISSAGE LE JEUDI 16 OCTOBRE DE 18H À 21H30

Anne Lopez dans son atelier parisien. Photo : ©William Duchêne.

Bonjour Anne, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Mon travail consiste à donner vie à plusieurs univers singuliers répondant à des thèmes différents, que ce soit pour des marques de luxe, pour le secteur de l’architecture d’intérieur, ou encore pour des œuvres uniques sur mesure. J’aime me confronter aux exigences de nouveaux univers, d’où l’appellation « Créatrice d’Univers ».
Depuis 4 ans, je suis installée dans mon atelier parisien situé dans le 13e arrondissement où je crée des sculptures murales ou d’objets, mais également des packagings d’exception ou encore des scénographies de vitrines.

Vue de l’atelier d’Anne Lopez.

Comment l’art est-il entré dans votre vie ?

Très jeune, j’ai été sensibilisée à l’art pictural par mes parents qui m’amenaient dans les musées. Ma mère affectionnait tout particulièrement la période impressionniste, ainsi le musée d’Orsay est resté mon favori encore aujourd’hui, non seulement pour ses peintures mais également pour ses diverses sculptures. De fréquentes visites dans les églises m’ont permis de m’intéresser aux architectures romanes, gothiques et baroques. Mon désir de me consacrer exclusivement à la création s’est affirmé lorsque j’étais au lycée, puis j’ai intégré l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris (ENSBA).

Quelle artiste êtes-vous et quelle relation entretenez-vous avec la créativité ?

Je suis animée par la même fougue dans chacune de mes réalisations. Ce qui m’exalte, c’est insuffler à mon travail une touche de rêverie, de légèreté et de grâce. Mes créations évoluent constamment au gré de mes envies. Chaque projet est l’occasion d’utiliser des matières, des supports, des échelles et des procédés inédits qui stimulent ma créativité. Le désir de me réinventer sans cesse, c’est ce qui m’anime depuis mes années d’études à l’ENSBA. Je veille surtout à ne jamais me laisser enfermer dans un style parce qu’ « il n’y a pas de limites dans l’art ».

Quelles sont vos inspirations ?

Ma créativité se révèle lorsque je suis confrontée à divers univers dont je m’imprègne avant de les retranscrire dans ma matière privilégiée, le stuc, selon ma fantaisie. Le socle commun à mes créations, c’est la sensualité, la légèreté de la danse, la beauté de la nature, le souffle du vent…

Ma technique nécessite une implication entière du corps. La notion de danse est toujours présente dans mon travail, exécuté par un geste sûr et fluide, associé à ma respiration. La pratique de la danse classique, jusqu’à l’âge de 20 ans, m’a inculqué une façon de bouger et de respirer qui ne m’a jamais quittée.

Photo : ©William Duchêne.

Y a-t-il des artistes, des mouvements ou des œuvres qui ont particulièrement marqué votre pratique ? Si oui, lesquels et comment ?

Les œuvres du sculpteur et peintre italien Le Bernin (XVIIe s.) me fascinent et me bouleversent. Elles ne m’ont jamais quittée tout au long de mes recherches artistiques. Une de ses sculptures en marbre, que j’affectionne tout particulièrement et que j’ai découverte à la Galerie Borghèse à Rome, s’intitule Apollon et Daphné. Cette œuvre représente pour moi l’incarnation du mouvement et de l’envol.

Diplômée de l’ENSBA, en 2017, j’ai complété ma formation en intégrant, en 2018, l’École d’Art Mural de Versailles pour suivre une formation de peintre en décor. Ainsi, j’ai pu perfectionner mon intérêt pour le style baroque (milieu XVIe s. – milieu XVIIIe s.) caractérisé par des ornements aux lignes sinueuses, rinceaux, feuilles d’acanthe, cornes d’abondance, par l’opulence des détails, par l’exubérance des formes et par la diversité des couleurs, qui n’a cessé d’influencer mes dessins et mes compositions. J’affectionne également le mouvement impressionniste (milieu XIXe s.) pour sa palette de couleurs harmonieuses, mon artiste préférée est Berthe Morisot.

Je suis constamment à la recherche, notamment dans ma collection Matière à Broder, de la couleur la plus subtile, la plus délicate pour évoquer des émotions, des sentiments. Je suis également très influencée par l’Art Nouveau (fin du XIXe s.) et ses formes élancées inspirées de la nature, j’admire spécialement les bijoux du créateur René Lalique qui conditionnent mon travail.

Comment définiriez-vous votre style, votre univers artistique ?

Mon style est plutôt éclectique, je me plais à mêler des techniques anciennes à d’autres plus inventives, plus originales. Je suis constamment à la recherche de nouveaux domaines dans lesquels je m’implique avec le plus grand plaisir. Je tiens à conserver une part de style baroque parfois classique pour y ajouter une touche de modernité, de fraîcheur que m’offre mon sujet d’étude privilégié : la nature, les végétaux, fils conducteurs de ma créativité. Mes œuvres doivent toujours être en mouvement, non figées comme suspendues dans le temps. Je m’épanouis dans un univers onirique, poétique qui me transporte et me fait rêver !

Comment avez-vous découvert la sculpture murale, et qu’est-ce qui vous attire dans ce médium ?

J’ai appris tout d’abord, au cours de mes études à l’ENSBA, les techniques du dessin et du moulage. C’est le dessin, basé sur la respiration et la danse, que je retranscris en relief et en creux. Puis, j’ai acquis par l’expérience, un savoir-faire et une méthode motivés par la recherche « du geste parfait » du poignet et de la main, avant que la matière ne se fige. J’utilise des enduits minéraux bruts, à l’aspect de pâtes malléables, qui sèchent et se figent au contact de l’air. La sensualité de cette texture gourmande, comparable à de la crème fraîche, influence mon inspiration et me permet alors de créer des végétaux, des courbes et des formes organiques toujours en mouvement.

J’aime la dualité qui s’opère entre cette matière minérale brute et son application, son apparence précieuse lorsqu’elle est rehaussée d’or, et surtout, la forme et la fonction surprenantes que je décide de lui donner. En effet, ce qui m’attire, c’est la multitude de figures que ma créativité peut susciter, que ce soit l’élaboration d’un bijou, la décoration d’un flacon en verre ou encore l’enrichissement d’une pièce de tissu destinée au secteur de la haute couture. Ce qui me passionne, c’est cette liberté d’expression où se mêlent détermination et sensualité.

Pourriez-vous décrire votre processus créatif, de la conception à la réalisation d’une œuvre ?

Tout part d’un croquis, d’une composition cadre ou hors cadre, d’une envolée, d’un geste dynamique, d’une envie… Une simple direction, mais sans jamais figer le résultat final, car c’est la matière et ses exigences qui vont guider mon geste. La matière minérale va être à nouveau questionnée, écrasée, étirée, griffée, déposée, sculptée, modelée, ornée d’or ou encore de paillettes de verre colorées touche après touche. Je cultive et laisse sa place à l’inattendu, voire à l’accident…

Est-ce que votre travail implique des techniques traditionnelles ou expérimentez-vous des approches plus contemporaines ?

Mon parcours, de par son essence, implique une étroite relation entre l’art et l’artisanat. En effet, à l’École d’Art Mural de Versailles, j’ai appris des techniques ancestrales comme la dorure et le faux marbre, et ce sont ces techniques que je réinterprète dans mes œuvres avec une sensibilité et un univers singulier, acquis et approfondis lors de mes études à l’ENSBA. Mon réel intérêt pour les Métiers d’Art m’incite à détourner ma matière minérale pour l’utiliser dans des techniques que j’affectionne comme la broderie, le bijou… Il s’agit de réinterpréter une méthode, traduite avec mon propre savoir-faire, lui-même développé et mis au point après des années d’entraînement. Je suis autodidacte dans la conception de ce geste et de ce savoir-faire.

Y a-t-il un message ou une émotion que vous espérez transmettre à travers vos œuvres ?

J’aime à penser que mes œuvres suscitent une impression d’envol, de délicatesse, de lâcher-prise, de temps suspendu et de parenthèse enchantée.

Quel est votre dernier projet artistique ?

Il s’agit d’une collaboration sur un projet de packaging d’exception avec une maison de parfumerie, qui sortira en octobre prochain à l’international.

Depuis votre entrée à la Galerie Durst en 2020, votre style a-t-il évolué, et si oui, dans quelle direction ?

En entrant dans la galerie, je n’avais pas encore eu l’opportunité d’avoir autant de projets qu’aujourd’hui qui m’incitent à imaginer des œuvres plus ambitieuses, à prendre davantage de risques et donc à repousser les limites de ma création, de mon matériau.

Comment décririez-vous, en quelques mots, l’esprit de votre prochaine exposition personnelle à la Galerie Durst, Envolée Lyrique ?

Multimatières, multiformes, un mélange de techniques artisanales avec une diversité des supports tourbillonnants, dansants, ayant pour inspiration commune la nature. Chaque œuvre est une interprétation, une tentative de retranscription d’un élan, d’un mouvement.

Comment est née l’idée de cette exposition, et que signifie pour vous le titre ?

Cette exposition est née suite à l’invitation d’Helena Martin, directrice de la Galerie Durst. Cela fait plusieurs années que nous travaillons ensemble. Depuis notre rencontre, j’ai développé et créé de nouvelles collections. Cette exposition illustre ces quatre années de recherches et de création artistique en présentant des œuvres phares de ces collections.

Le titre symbolise l’énergie, l’élan que j’investis quand je réalise mes œuvres, et c’est cette envolée artistique que je tends à faire ressentir aux spectateurs. J’aime ce titre également pour son caractère passionné, parfois excessif, car il faut être habitée, passionnée pour créer.

Y a-t-il un fil conducteur dans cette exposition, ou chaque œuvre fonctionne-t-elle de manière autonome ?

Les œuvres sont regroupées par collection, chaque collection possède son propre thème et une technique singulière : que ce soit une inspiration du monde sous-marin, floral, végétal ou encore animal. En revanche, bien que ces collections se distinguent de par leurs formes, elles dialoguent ensemble. Pas de cloisonnement entre les œuvres, elles seront présentées ensemble, côte à côte, afin de renforcer le côté hybride qui se trouve dans chacune d’elles.

Y a-t-il une technique ou un processus particulier que vous avez exploré durant la création de cette nouvelle série ?

Oui, pour cette exposition, j’ai créé ma première œuvre murale issue d’une collection intitulée Champs de Fleurs qui se présentait seulement sous la forme de sculptures à poser. Travailler cette collection sous un angle différent m’a permis de rechercher de nouvelles textures et de réfléchir à de nouvelles manières de composer « cette envolée ». J’ai également travaillé sur des grands formats afin de gagner en latitude de mouvement. Cela m’a permis de mélanger cette idée du contrôle du geste et du lâcher-prise, impression que l’on ressent quand on danse.

Quelle émotion ou sensation souhaitez-vous transmettre au spectateur à travers cette exposition ?

J’aime à penser que mes œuvres peuvent susciter une impression d’envol, de délicatesse, de lâcher-prise, de temps suspendu…

Y a-t-il une œuvre phare ou une pièce qui vous tient particulièrement à cœur dans cette nouvelle exposition ?

Les œuvres de la collection Matière à Broder. C’est une collection qui m’a permis « de prendre mon envol » et de sortir des bas-reliefs traditionnels ainsi que des supports lourds et opaques. Grâce à la transparence du tissu, la matière devient le seul sujet de l’œuvre et ce sentiment de liberté, de mouvement, n’y est que renforcé.

Anne Lopez, dans son atelier, travaillant sur une de ses nouvelles oeuvres, Matière à Broder n°10.

Vos œuvres sont-elles influencées par un lieu, une lumière ou un souvenir particulier ?

Pas de lumière particulière, ni de lieu… En revanche pour les souvenirs, je suis sans cesse en quête de beauté et d’émerveillement (la palette de couleurs extravagante chez une fleur, l’érosion d’un rocher, les ailes d’un insecte, le tombé et la structure des branches d’un arbre, le bruit du vent dans les feuilles, le mouvement ralenti des nuages…) que je retrouve lorsque je me promène dans la nature. Ce sont ces moments-là de grâce que je tente de retranscrire par tous les moyens…

Quel a été le plus grand défi dans la conception de cette nouvelle exposition ? 

Le choix des pièces, et surtout trouver le nombre juste de pièces, ne pas surcharger. Laisser la place au vide, au silence, éléments fondamentaux pour contempler une œuvre.

Pourriez-vous partager avec nous un ou deux moments marquants de votre parcours artistique jusqu’à présent ?

Vitrine avec des flacons de parfums créée par l’artiste pour le salon des Places d’Or l’année dernière.

Le moment le plus marquant est celui où j’ai été élue lauréate du concours « L’appel à création ». Il s’agissait de décorer l’intérieur d’une voiture de luxe. J’ai choisi de représenter l’aile d’une créature enchantée sous forme de bas-relief noir et or. J’ai eu alors la conviction qu’il n’y avait pas de frontière entre les différents secteurs, et que je pouvais exprimer mon savoir-faire et mon art dans des domaines inattendus. Cela m’a confortée dans mon idée de liberté de création sans devoir me limiter à un secteur d’activité, à une forme d’œuvre finie ou encore à un support défini.

Que diriez-vous à une personne découvrant votre travail ?

Que je suis consciente que cela peut être déstabilisant ou même fouillis comme approche, que l’on peut confondre les médiums, les supports, les formes et les secteurs d’activité et d’application, mais que malgré la multitude de facettes que peut prendre mon travail, le plus important est de laisser transparaître mon intérêt pour le monde onirique dans son aspect le plus délicat.

Avez-vous des projets artistiques futurs ? Comment envisagez-vous la suite de votre parcours ?

Je souhaiterais pouvoir collaborer avec des secteurs tels que la haute couture afin de quitter la sculpture murale traditionnelle, et ainsi troquer des supports rigides et opaques avec du tissu transparent, fluide, me permettant de signifier l’idée de l’envol et de ne garder que l’essentiel de la matière.

Que diriez-vous à un.e artiste qui débute aujourd’hui ? Quel.s conseil.s donneriez-vous à un jeune artiste ?

De ne pas craindre de se mettre en danger en choisissant des projets innovants. Il est important de toujours se renouveler.