Depuis sa disparition en 2015, c’est le fils de Fitzia, Patrick, aujourd’hui ayant-droit, qui s’attache à faire vivre l’héritage artistique de sa mère. Nous avons eu le plaisir de le rencontrer.

Dans cet entretien, il nous plonge dans l’univers artistique de Fitzia, une artiste qui a su marquer son époque par son approche unique du collage. Découvrez son histoire, les inspirations qui ont façonné son œuvre, son processus créatif, les moments marquants de sa carrière, et comment Patrick perpétue son héritage artistique…

Patrick, pourriez-vous présenter Fitzia, votre mère, en quelques mots ?

Ma mère était une femme brillante, drôle, radiante avec un grand amour pour la vie, et qui voyait toujours tout d’un regard positif.

Pouvez-vous nous parler des origines et de l’enfance de votre mère ?

Fitzia est née en France, d’une mère française et d’un père basque espagnol. Elle vient d’une famille aisée et elle était la deuxième de trois sœurs. Elle a grandi à Paris et a fait ses études dans des pensionnats où elle recevait les enseignements de religieuses. Ma mère a vécu la guerre à travers les yeux innocents d’une enfant car, d’après ce qu’elle racontait, elle disait qu’à cette époque-là, ils habitaient dans le 16ème arrondissement et ils montaient sur le toit de l’immeuble pour voir les “feux d’artifices” alors qu’en réalité il s’agissait de bombes. Après la mort de son grand père, la famille est allée s’installer en Espagne.

Comment l’art est-il entré dans la vie de Fitzia ? Comment a-t-elle fait du collage son medium de prédilection ?

Bien qu’elle soit née à la Baule en France, Fitzia a grandi à Paris et depuis toute petite, elle avait déjà commencé à montrer ses talents pour le dessin. À l’adolescence, elle s’est découvert une passion pour l’art. Quand elle avait 13 ans, ma mère avait écrit trois noms différents sur trois petits morceaux de papier et elle avait demandé à une amie d’en choisir un, et c’est à ce moment que FITZIA est devenu son nom d’artiste.

Au début, elle faisait des huiles, des paysages. Elle a fait sa première exposition en 1957 au Mexique et c’est justement là-bas qu’elle commence à expérimenter avec cette nouvelle technique “le collage”. Elle a fait ses premières oeuvres avec du papier de soie collé sur de la toile déjà peinte et repeinte par-dessus. Mais c’est surtout, quelques années plus tard, après une rencontre avec le grand peintre espagnol, Francisco Farreras à New York qu’elle découvre le collage “pur”. Cette rencontre marque un point tournant dans sa vie et sa carrière d’artiste.

Comment décririez-vous la personnalité de votre mère en tant qu’artiste et en tant que personne ?

Elle était généreuse de son temps et de son argent, altruiste et très sociable dans sa vie quotidienne.
Un exemple de sa générosité : Elle a fait construire une toute petite maison à une jeune femme en situation précaire au Mexique qui avait trois enfants et pas de mari. C’était un tout petit espace dans un bidonville avec une porte et une fenêtre. Et je me rappelle que quand je lui ai demandé pourquoi une seule fenêtre, ma mère m’a répondu : “Car je n’ai plus d’argent pour d’autres fenêtres”.

Dans son travail, Fitzia était perfectionniste, exigeante envers elle-même. Elle était capable de détruire et refaire un tableau plusieurs fois si elle n’était pas satisfaite du résultat. Elle se levait toujours très tôt, peut-être que l’inspiration la réveillait, ensuite elle faisait son café et commençait à travailler.

Comment définiriez-vous son style, son univers artistique ?

Ses premières peintures étaient plutôt des représentations, des aquarelles figuratives, des paysages et des portraits. Elle a exploré différentes techniques, mais je dirais que le style qui la décrit le mieux, c’est l’abstrait.

Fitzia dans son atelier en 1958.

Quelles étaient ses inspirations et les thèmes récurrents dans ses œuvres ?

Ma mère a beaucoup été influencée par ses expériences de vie. Je pense que sa vie a beaucoup changé suite à son voyage au Mexique quand elle avait 20 ans et où elle s’est mariée avec mon père. Elle était surprise par les couleurs vives du Mexique et par cette richesse de création des artisans là-bas. D’ailleurs elle disait : “Il n’y a qu’au Mexique où on est né artiste”. Mais comme elle disait aussi : “Mes œuvres sont la représentation de mon contact avec les gens, ma relation avec les êtres humains est le plus important sur cette terre. Et dans mes œuvres on retrouve ce que chaque personne m’apporte”.

Quels artistes ou mouvements artistiques en France et au Mexique ont particulièrement influencé son art ?

Dans le livre que ma mère a écrit au Mexique « Collage, arte mayor », on parle des artistes tels que Juan Gris, Georges Braque pour mentionner quelques-uns, mais de façon sure et certaine, je crois que celui qui a été la plus forte influence était Francisco Farreras en Europe, et Rufino Tamayo au Mexique.

Fitzia durant son exposition “Metagalaxia” en 1969.

Quels étaient les moments ou événements marquants de la vie de Fitzia en France et au Mexique qui ont influencé son travail artistique ? Quels aspects de son travail reflètent le mieux son héritage culturel mexicain et français ?

Je pense que la découverte du Mexique et la richesse artistique qu’on trouve partout, à chaque coin du pays, était une belle source d’inspiration pour elle au début. Ensuite, son passage à New York, où elle a vécu, rencontré d’autres artistes importants et où elle a aussi exposé, l’a aidée à se définir. C’est à cette époque qu’elle commence avec ses grands formats. Dans les années 1960, “l’époque spatiale” l’a beaucoup inspirée pour réaliser l’exposition « Metagalaxia ».

Comment choisissait-elle les matériaux pour ses collages ? Pourriez-vous décrire son processus artistique, de la conception à la réalisation d’une œuvre, y compris ses rituels ou des routines ?

Elle disait toujours qu’elle choisissait ses papiers au toucher. Pour elle, la texture du papier était primordiale. C’était une manière d’être sûre que le papier allait bien coller et qu’il allait survivre le traitement de la colle et la peinture sur le support sur lequel elle travaillait, qui souvent était du bois. Elle avait une complicité avec ses matériaux, et disait souvent que dans “son combat” entre le papier et elle, c’était toujours le papier qui “gagnait”.

Pour la thématique, elle faisait d’abord des recherches et s’inspirait de livres, puis elle s’enfermait dans son atelier avec de la musique, fanatique de Bach, pas mal de musique française, Gilbert Bécaud et Aznavour, et de la musique folklorique mexicaine, ensuite… Elle se laissait aller !

Y a-t-il des aspects techniques ou méthodologiques spécifiques qu’elle utilisait dans son travail ?

Oui, la qualité du bois pour ses panneaux et des papiers était d’une grande importance pour elle. Elle devait s’assurer que les panneaux étaient faits avec du bois sec, et que les papiers ne perdaient pas leur couleur à cause de l’humidité de la colle. La cire vierge, blanche, devait aussi être d’excellente qualité afin de protéger ses collages par la suite.

Quel message ou émotion espérait-elle transmettre à travers ses œuvres ?

Son amour pour la vie, et son désir de transmettre la joie à travers la lumière et les couleurs. Laisser une marque, se dépasser. Laisser un héritage humain tout simplement.

Comment décririez-vous l’évolution de son style artistique au fil des années ?

Au début de son parcours artistique, elle faisait surtout des huiles figuratives après son installation au Mexique. Elle a ensuite commencé à faire des œuvres plus abstraites. Elle était toujours à la recherche de nouvelles techniques afin de créer un style propre à elle. Le collage était une technique classique mais Fitzia a su inventer son propre style. Avec cela, elle s’est sentie immédiatement libre de créer selon son imagination. Elle a passé les années qui ont suivi à perfectionner sa technique et à créer des œuvres, allant jusqu’à réaliser un grand mural de 290 cm x 600 cm pour l’Instituto Nacional de Neurologia y Neurocirugia à Mexico. C’est aussi l’époque à laquelle elle explore la sculpture. Dans les années 1970, ce sont les sérigraphies qui arrivent dans son univers.

Pourriez-vous partager un moment marquant de sa carrière artistique ?

Je pense que dans les années 1960, de nombreuses choses importantes se sont passées car elle a réussi à marier ses œuvres avec l’univers de l’architecture. Elle a même réussi à avoir entre 3 et 4 expositions par an.

Y a-t-il une ou deux œuvres spécifiques qui, selon vous, sont les plus emblématiques de Fitzia et pourquoi ?

Il est difficile de choisir une ou deux pièces spécifiques, mais par contre, je peux dire qu’une période très forte dans la vie de ma mère a été le changement de sa palette, qui est devenue vive après la mort de mon frère Philippe, qui était encore jeune au moment où il nous a quittés. Les titres de ses tableaux étaient aussi très frappants.

Y a-t-il des anecdotes ou histoires spécifiques qui illustrent bien sa dévotion à son art ?

Ma mère aimait beaucoup écrire des lettres pendant qu’elle prenait le café le matin. Elle commençait chaque lettre pour ses amis ou sa famille avec un petit collage qu’elle créait, et toujours avec de l’encre verte. Sa préférée ! Alors nous avions tous, toujours, un petit Fitzia dans nos boîtes aux lettres.

Y a-t-il des institutions culturelles ou éducatives qui célèbrent son travail et son influence ? Où peut-on trouver des archives, des collections privées ou des musées exposant ses œuvres ?

Nous avons toujours la Galerie Durst à Paris, qui la représente en France.
En 2007, on a publié un livre qui s’intitule « Una Obra – Una Vida », qui se traduit par « Une œuvre – Une vie ». Ce fut une façon de partager sa trajectoire artistique avec le public.
On a aussi créé son site web il y a quelques années et qui, d’ailleurs, est toujours actif. Nous sommes constamment en train de le maintenir à jour et d’augmenter sa présence sur les réseaux sociaux pour que ses œuvres et son héritage artistique demeurent pertinents et en vie.

Fitzia dans son atelier en 2007.

17. Comment la mémoire de votre mère et son travail artistique sont-ils honorés dans votre famille aujourd’hui ? Avez-vous pris des initiatives pour préserver et promouvoir son héritage artistique ?

Elle est toujours très présente dans la vie de ma famille et dans ma vie. Que ce soit à travers ses tableaux ou des souvenirs, on célèbre souvent son héritage artistique. Fitzia est honorée tous les jours à travers les multiples œuvres accrochées dans les musées, les résidences ou lieux de travail des différents collectionneurs qui se trouvent majoritairement au Mexique, au Canada, en France, en Espagne, en Allemagne et aux États-Unis. À partir de 1998, j’ai commencé à numériser ses archives personnelles et la liste de toutes ses œuvres.

Quels sont les projets futurs pour célébrer et diffuser son héritage artistique (expositions, publications, films) ?

Cette exposition est une rétrospective importante de ses œuvres et un hommage à sa mémoire.

Quelle était la nature de votre relation avec votre mère ? Étiez-vous proche de son travail artistique ?

J’ai toujours eu un lien très fort avec ma mère. Quand j’étais jeune, elle me donnait souvent des tâches artistiques à réaliser pendant qu’elle travaillait. Puis en 1998, je suis devenu son assistant et je l’aidais dans l’achat de ses matériaux et aussi à la préparation de ses panneaux. J’ai ensuite entrepris le projet de numériser toutes ses archives personnelles, et c’est devenu un peu mon projet de vie.

Comment votre mère vous a-t-elle transmis son amour et sa passion pour l’art ?

On allait souvent aux expositions ensemble, que ce soit aux musées ou bien aux vernissages d’autres artistes, au Mexique ou à Paris où on habitait. Avec elle, j’apprenais toujours quelque chose sur les techniques, les motivations, la période sociale dans laquelle l’artiste avait vécu, mais surtout je pense que le plus beau cadeau qu’elle m’a offert c’était de la voir travailler avec autant de passion.

Y a-t-il des moments ou des souvenirs marquants que vous chérissez ?

La liste est longue parce que j’ai passé une très grande partie de ma vie à ses côtés, autant au Mexique qu’en France. Je dirais que ce qui m’a le plus touché, c’est sa confiance, qui m’a permis d’être présent dans son atelier pendant qu’elle créait ses œuvres. Elle ne laissait pas entrer n’importe qui !

Enfin, comment sa passion pour l’art a-t-elle influencé votre propre vie et vision du monde ? Quelles valeurs ou conseils précieuses vous a-t-elle enseignées à travers son travail et sa vie qui vous impactent encore aujourd’hui ?

Ses passions pour l’art mais surtout pour la vie ont formé mon caractère. Je suis quelqu’un de positif, avec une joie de vivre comme la sienne, et je tente de toujours garder mon regard porté sur l’avenir. Ma mère était une personne très généreuse et je crois que j’ai pu transmettre ça à mes enfants. Ce n’était pas quelqu’un de compliqué et elle avait besoin de très peu pour être heureuse. Je crois que je suis un peu comme ça aussi : je suis quelqu’un de simple, qui est heureux tant que les autres autour de moi le sont.

Exposition “Voyages en papier : L’univers de Fitzia” de Fitzia
du 17 octobre au 9 novembre 2024 à la Galerie Durst 
Vernissage le mercredi 16 octobre à partir de 18h

Pour en savoir plus sur le travail de Fitzia, ne manquez pas le documentaire La maîtrise du collage :